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Pertes Et Fracas : Notes sur le Manque

Rencontre et Baisers

14 Septembre 2016 , Rédigé par Damien V. Isoard Publié dans #Notes

Des le premier regard, j'ai su qu'elle était belle. Pas comme ces filles magnifiques, exceptionnellement femmes, dont la beauté vous effraie en même temps qu'elle vous laisse coi, regardant béat leur visage d'ange ou leurs seins galbés, juste ce qu'il faut.

Non elle dégageait cette beauté simple, humaine, accessible, fraîche, revigorante, qui vous donne envie de vous coucher contre son corps une de ces longues soirées d'été pour l'aimer autant qu'elle vous aime. Elle avait aussi, si ce n'est surtout, une beauté d'âme, de cœur et d'esprit. La vie n'était, crû-je alors, qu'un enfantillage pour elle. Un jeu à la hauteur de son amusement, qui l'avait toujours fait rire, et jamais déçu. Chaque phrase drôle prononcée, chaque blague, calembour, chaque sobriquet humoristique donné a un tiers ou à elle même donnait l'impression de la nourrir de vie, comme un enfant tétant frénétiquement par pur instinct de survie. Et je ne compris que trop tard que, pour elle, cette douce vie n'était qu'une survie amère .

Dés lors je l'aimai. Quintessence de ma peur des femmes, j'écrivis de nombreux sonnets pour elle, de nombreux chants à sa gloire, et dessinais de nombreuses pages à son amour. Je les gardais pourtant pour moi, ces poèmes, ces musiques, ces croquis, tels de noirs secrets que l'on déchirerait presque chaque soir après les avoir fait, de peur que l'objet de notre désire les trouve, et l'on ne s'endort que si l'on a la certitude qu'ils sont bien cachés. Et on ne les ressort plus, pour ne pas se trahir. Et au même cirque de recommencer chaque matin.

Lorsque je parlais avec elle - mon courage était grand à l'époque - je combattais un lion. J'étais Achille, à la guerre de Troie, prêt à mourir pour vaincre mes ennemis, qui n'étaient autres que moi-même. Je m'effrayais de chacun de mes mots, de peur qu'ils puissent être interprétés correctement. Que de temps nous avons passés ensembles, que de conversations enivrante, de délires pseudo-schizophrènes, de folies d'un jour, de parties de cartes où, bière en main, j'affrontais chacun de mes amis jusqu'à ce qu'elle m'applaudisse et alors mon monde devenait rose et bleu et jaune, tel un arc-en-ciel m'entourant de son plus pur bonheur, et moi de défier mes amis à nouveau, entretenant l'espoir qu'un jour elle comprenne que chacune de mes victoires lui étaient dédiées.

Nous avions pour habitude de sortir tôt, chaque lundi, dans la matinée, pour nous rendre dans de beaux jardins, près du château, et de boire, et de fumer, tout en entretenant de notre verbe adolescent des conversations de bon aloi (ou d'autres plus stupides, cela dépendait). Puis nous retournions dans notre pénitencier scolaire pour y vivre les derniers cours de la journée, et retourner enfin à l'internat, pour de nouveau faire le mur, et nous rendre dans les jardins qui bordaient le lycée. Nous étions quatre amis, inséparables, et je comprends aujourd'hui qu'Elle était le ciment de cette amitié. Chaque garçon la regardait dès qu'elle parlait, nous nous pliions à ces caprices, rigolions à ses blagues, devenions nains, barbares, elfes et autre créatures si elle le voulait et enfin essayions d'avoir la place la plus proche d'elle lorsque, repus de ses paroles, nous nous couchions dans l'herbe et regardions les étoiles, corps célestes qui pourtant ne pouvaient égaler la beauté de celle qui se tenait chaque fois à mon côté.

C'est lors d'une de ces folles escapades que pour la première fois je déclamai ma poésie. Le vin et la fumée ayant fait leurs effet, je disposais ce soir-là de plus de courage qu'a l’accoutumé. Je chantai bravement quelques vers, le tout en buvant évidemment quelques verres. Et j’eus le bonheur de constater qu'elle, de son côté, buvait chacun de mes vers. Pouvais-je être plus heureux, alors qu'à la lumière de la ronde lune son visage pâle au possible, tel que je lui connaissais, n'arrivait pas à cacher que le bleu de ses yeux était devenu brillant comme mille saphirs scintillants, mieux que cela même... je n'étais pas amoureux des saphirs.

Le lendemain je rentrai chez moi pour le week-end et pour la première fois elle me manqua vraiment. Je tournais tel un lion en cage, ne pouvant manger car mon corps s'était déjà nourri plus que de raison de la vision d'elle me regardant sous les bras bienveillant du cerisier sous lequel nous nous cachions au soir. Je devais la revoir, je devais comprendre ce regard. Avais-je imaginé tout ça ? Le dimanche, j'étais convaincu que tout était dans ma tête, que telle fille ne m'aimerait jamais.

Lorsque, le lundi, elle me sourit, me pris dans ses bras et embrassa chacune de mes joues, se contentant d'une simple bise envers les autres, mes certitudes s'effondrèrent. Elle avait toujours été lunatique, mais cela me surprenait. Après deux longues heures passées à parler d'un quelconque écrivain dont j'ai tout oublié, nous nous rendîmes à notre habitude au château, et elle se serra contre moi. Dès lors elle ne me lâcha plus. Nous restâmes étreints tout le jour durant jusqu’à ce que, des années après mon cœur s'emballe toujours lorsque je me rappelle son regard dans le mien et l'agréable odeur de pommes que portait ses lèvres, faute certainement aux deux bouteilles de cidre qui traînaient près de nous, nos lèvres se croisent. Je l'aimais, m'aimais-t-elle ? J'en avais la certitude, qui pulsait comme chaque battement de son cœur que je sentais cogner dans sa poitrine lors de cette étreinte amoureuse. Nous nous aimions.

Certains pensent en se levant que c'est le dernier jour du reste de leur vie. C'est sûrement vrai pour eux, cependant, à mon réveil le lendemain, je compris que c'était, surtout, le premier jour de ma vie. Je l'avais trouvé belle, grande d'âme, heureuse, fraîche. A quel point me trompais-je jusqu'alors ! Elle n'était pas belle, elle était la beauté. Celle de l'eau limpide coulant le long de la rivière, du torrent, de la crûe. L'eau de mer dont le sel caresse si agréablement la peau. De l'océan, brillant de mille feux sous un soleil d'été. Le limpide ciel même ne semblait peser qu'une plume sur la balance de la beauté, face à Elle. Les plus charitables semblaient biens égoïstes, le bonheur bien triste, la rosée peu fraîche, quand l'objet de mon amour m'apparût ce matin-là, tout sourire, m'embrassant et me disant des mots tels que le plus tyrannique des rois aurait donné terres et titres pour les entendre. Je renaissais à côté d'elle, mes plus grandes peurs enfuies, mes névroses oubliées, ma folie, amie de toujours, disparue. J'étais, pour la première fois de ma vie, conscient de la chance de vivre.

Je redoutais la mort, maintenant, alors que jamais je ne l'avais craint ni n'y avais pensé. Peut-être étais-je trop jeune avant. Mais elle m'apparaissait maintenant comme une évidence, qui cependant ne me torturait pas comme elle torturerait un adolescent en plein éveil métaphysique. J'étais simplement heureux. Et prés de moi les gris murs de béton qui m'avaient tant paru froid et maléfiques, me souriaient maintenant, de leurs plus beau sourire, car être ici, c'était être avec elle.

Quelques nuits plus tard, nous nous donnâmes rendez-vous secrètement sous le cerisier qui avait été le témoin de tant de nos fugues. Nous nous embrassâmes alors, comme jamais nous ne l'avions fait. La pudeur n'existait plus, le secret amour que nous vivions était ici libre de s'ébattre. Non pas la secrète relation, car elle n'avait plus rien de secret, mais l'amour. Il décida cependant ce soir là de céder sa place, par courtoisie, à la passion. Et sous l’œil de l'arbre voyeur, nos corps s'unirent pour retrouver nos âmes, enfermées déjà toutes deux dans chacun de nos cœurs. Ce soir là, je compris que l'amour donne son nom à l'acte de le faire. Je n'avais jamais apprécié ce bestial fait. Tout au plus j'avais obéis à une pulsion. Ce soir là cependant, tandis que nos corps ne faisaient plus qu'un, que son visage me montrait son plaisir, reflet du mien, mon bonheur fût total.

2012

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